Concept central du bouddhisme, l’impermanence est une loi implacable qui donne tout son sens à la quête spirituelle.
Qu’est-ce que l’impermanence ?
L’impermanence est le caractère de tout ce qui est impermanent, c’est-à-dire instable, changeant, mortel ou encore périssable. Tout ce qui évolue dans le temps est dit impermanent.
La raison pour laquelle vous étiez un jour un enfant et aujourd’hui un adulte est que votre corps est impermanent. Votre humeur change au gré des jours car elle est aussi impermanente. En cela, tous les êtres vivants sont impermanents.
Et l’impermanence, qui évoque donc la transformation ou la mutation, est aussi une affaire de destruction. En effet, la fleur qui croît doit un jour faner et mourir. Cela concerne aussi tous les êtres vivants : les fleurs fanent, les hommes meurent, mais si l’on regarde au-delà du vivant, on verra que les matériaux se détériorent, que les bâtiments s’écroulent, que les rochers s’érodent, etc.
Le moindre atome est destiné à la désintégration à l’issue de sa demi-vie, rendant la moindre matière impermanente. Tout ce qui naît alors de cette matière, des êtres aux empires en passant par les sociétés et leurs mentalités partage cette impermanence : tout est impermanent.
Pour comprendre la portée de l’impermanence, intéressons-nous aux origines du bouddhisme avec l’histoire de Bouddha lui-même, lorsqu’il découvrit ce qu’est l’impermanence et ce qu’elle implique.
Bouddha découvre l’impermanence
De sa naissance à ses 29 ans, Bouddha a vécu dans le luxe. Son père, roi de Kapilavastu (dans l’actuel Népal), lui a offert le confort royal des palais, des serviteurs et des loisirs. Bouddha, qu’on appelait encore Shakyamuni à cette époque, était intelligent, fort, beau, et vivait heureux au palais avec sa famille, sa femme et leur jeune enfant.
Il trouva pourtant un jour l’envie de sortir du palais, pour la première fois, afin de visiter la ville. Il fit alors trois rencontres :
Accompagné de son écuyer, il croisa tout d’abord la route d’un vieillard et, n’en ayant jusqu’alors jamais vu, il demanda à son écuyer pourquoi cet homme était si frêle et mal en point, pourquoi sa peau était ridée, sa barbe blanchâtre et son crâne dégarni. L’écuyer lui répondit que c’était le lot des personnes âgées, et que tout le monde vieillit à mesure que le temps passe. Bouddha fut troublé de cette explication. Les deux poursuivirent leur route.
Ils tombèrent alors sur un homme malade. Bouddha n’en avait jamais vu non plus. L’écuyer dut donc lui expliquer que la maladie nous fait perdre nos forces, nous rend parfois même impotent et cause beaucoup de souffrances. Il ajouta que la maladie nous menace tous, et à chaque instant. À nouveau, Bouddha fut ému. Ils reprirent leur route.
Ils croisèrent alors un cortège funèbre. Des gens transportaient un corps sans vie pour l’emmener jusqu’au lieu de sa crémation. Bouddha ignorait également tout de la mort. Tout le monde doit un jour mourir, lui expliqua l’écuyer, indépendamment de sa valeur ou de sa naissance. Personne n’échappera à la mort. Et pour la troisième fois, Bouddha fut bouleversé.
La question du bonheur
Bouddha réalisa ce jour-là que rien de tout ce qu’il avait, ni les palais, ni l’argent, ni les biens, ni le pouvoir, ni la gloire, ni la famille, ni son propre corps n’étaient éternels. Il réalisa l’impermanence de tout ce qu’il était et de tout ce qu’il possédait. Dès lors, il réalisa la fragilité de la vie, et donc sa vanité. Comment se réjouir de biens qu’il était destiné à perdre ? Comment profiter de la vie avec l’épée de Damoclès de la mort au-dessus de la tête ? Comment se satisfaire de ce qui est impermanent ?
La notion d’impermanence force à se poser ces questions ainsi que celle du bonheur plus généralement. Nous cherchons tous le bonheur, et nous le conditionnons à toutes sortes de choses. Nous considérons par exemple que le bonheur repose sur notre bonne santé, sur notre confort matériel, sur la qualité de notre entourage, sur des occupations saines et épanouissantes. Ces conditions, nous les fixons implicitement, elles nous semblent en fait évidentes. L’ennui est qu’elles subissent elles aussi la loi de l’impermanence.
Que déduire d’un bonheur fondé sur la bonne santé, si ce n’est que la santé doit forcément se détériorer un jour et que notre bonheur a donc une fin programmée ? Quid de notre confort matériel dont la longévité n’est pas garantie non plus ? Quid de nos proches qui ne sont pas plus immortels que nous-même ?
En fondant notre bonheur sur des bases impermanentes, nous programmons nous-mêmes nos futures souffrances : celle de perdre des êtres aimés et de voir nos biens s’éroder.
Tout est voué à disparaître
Pourtant, tout ce qui existe est conditionné. Tout vient de quelque chose comme dans une grande chaîne de causes à effets. Chaque être, chaque phénomène est issu de causes qui sont elle-mêmes issues d’autres causes, et ainsi de suite, à l’infini. Mais les causes impermanentes produisent des effets impermanents, et c’est donc toute notre chaîne qui est impermanente. Les ingrédients périssables font des repas périssables, les briques fragiles font des maisons fragiles, les êtres impermanents créent des relations impermanentes. Sommes-nous donc condamnés à la souffrance ?
Non, du moins tant que nous ne nous attachons à rien d’impermanent. Et tout étant impermanent, il nous faut donc nous détacher de tout, comme l’enseignent l’école du karma-yoga en Inde et Maître Eckhart en Occident, en écho aux paroles de Jésus-Christ : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers rongent, et où les voleurs percent les murs et dérobent ». Ce à quoi vous vous attachez, d’une manière ou d’une autre vous le perdrez.
C’est le souvenir de l’impermanence qui doit conduire au détachement salutaire, et le souvenir de la mort même, car c’est en fin de compte elle qui rend la vie et les attachements insignifiants.
C’est pour cela qu’on voit en Inde des yogis méditer dans les cimetières, ou des sadhus (moines renonçants) s’étaler de la cendre sur le corps (la cendre rappelle la crémation, courante dans ce pays).
Dans la tradition bouddhiste, la méditation asubha (« déplaisant ») consiste même à méditer sur des cadavres en décomposition. Il existe alors 10 asubhas allant du cadavre gonflé au squelette en passant par le stade des animaux charognards et des diverses purulences.
La « vue juste »
L’objectif du bouddhisme est pour son pratiquant d’obtenir la « vue juste », c’est-à-dire la capacité de voir les choses telles qu’elles sont vraiment, sans qu’il n’y projette ses peurs et ses désirs, fruits de son ego.
C’est avec cette vue juste que nous réalisons pleinement le caractère impermanent de tout objet de désir, et que nous cessons dès lors de le désirer. Cessant de désirer les choses, nous ne craignons plus de les perdre ni ne souffrons lorsqu’elles disparaissent.
La vue juste rend les objets qui nous entourent aussi factices que ceux d’un jeux vidéo ou d’une création virtuelle. Or, qui désirerait posséder des biens virtuels, hormis ceux qui se sont laissé illusionner et y voient des objets réels ? Personne, c’est pourquoi seuls ceux qui se laissent illusionner à voir du permanent là où il n’y a que de l’impermanent se prennent à désirer des biens périssables.
Dieu, seul principe permanent.
En dehors du bouddhisme ou des écoles hindous non-déistes comme le karma-yoga, on accepte tout de même une entité réellement permanente : Dieu, ou bien le Soi, deux principes qui se confondent souvent, et qui tous deux sont décrits comme parfaitement stables, jamais changeants, immuables. C’est alors sur eux qu’on fondera notre bonheur.
Dans le bhakti-yoga hindou, on vénère Vishnou ou Shiva, on chante ses louanges, on récite son nom. Ce n’est, au nom de Dieu près, pas différent des pratiques chrétiennes ou musulmanes.
Dans l’hésychasme chrétien comme dans le soufisme musulman, on veillera à méditer et à se concentrer sur Dieu, à l’exclusion de toute autre pensée, car seul Dieu est vrai et éternel, et Lui seul mérite qu’on s’y attache.
Citons enfin l’école du raja-yoga dans laquelle le Soi, que l’on pourrait qualifier de « partie divine et donc permanente de soi-même », s’observe et se médite comme le Dieu des précédentes religions et pour les mêmes raisons : étant le seul rocher stable dans la mer tempétueuse de l’impermanence, il est la seule chose à laquelle on doit s’accrocher.